Aujourd’hui, 13 novembre 2018, nous sommes tous des orphelins de Stan LEE, Homère du XX siècle.

Avoir vingt dans les années 80, c'était vouloir
une vie différente. Mais c'était l'époque aussi où
Bernard Tapie avait une émission à une heure de
grande écoute, qui nous expliquait en gros que le sens
de l'existence, c'était : gagner beaucoup de pognon!
Nous étions beaucoup à ressentir déjà toute la
violence et la vulgarité de cette course au fric, avec
son inexorable cortège d'humiliation à la clef.
Personne ne voulait se réveiller petit poisson pris
dans la nasse. On voulait une vie différente !

Alors,
à 25 ans, au moment des choix professionnels, je me suis
lancé dans une carrière solo de peintre; C'est là que  j'ai
remarqué avec surprise, l'influence dans mon dessin,
des STRANGE de mon enfance.
Tous les garçons de ma génération ont été marqué par
cette revue qui diffusait toute la clique des super-
Héros à la société américaine MARVEL entertament
group. Que Stan Lee soit un Homère des temps
modernes, cela ne fait aucun doute ; Aidé de
dessinateurs géniaux, il a fondé le panthéon
Marvel que tout le monde connaît désormais.
Mais, il y a 40 ans...
Ces superbes couvertures étaient une particularité
toute française.
A la différence des autres pays d'Europe, elles étaient
peintes à la main - à la gouache ! Mais elles
paraissaient peintes à l'huile. Elles n'étaient
malheureusement jamais signées. Aucune signature
n'était cachée dans un coin du dessin. La question fut
posée en son temps dans le courrier des lecteurs.
Mais les éditions LUG restèrent très évasives n'ayant
aucun intérêt à transformer l'artiste en vedette. De
plus, Jean FRISANO, car c'était son nom, avait « un
petit côté sauvage, un peu comme un ours qui reste
dans sa caverne ». Il demeura donc un artiste mal
payé et ignorant tout de son aura auprès des jeunes de
ma génération.
Pourtant « Nos années Strange », pour moi, c'était lui!
Jean Frisano à sa table de dessin en
1978  

ll avait l'art de mettre en situation naturelle des êtres
tout à fait improbables et costumés (les fameux

super-héros de Stan Lee) et donnait un magnifique
modelé aux formes, par des dégradés de couleurs
chatoyantes, qu'on ne retrouvait du reste, absolument
plus dans les pages du magazine, certes
magnifiquement dessinées, mais aux aplats de
couleurs somme toute conventionnels. Et encore
moins dans les comics en général. Il y avait là un
composé inédit de fantastique et de maîtrise
classique.

Ce mélange était explosif et vraiment
enthousiasmant ! Il rendait soudain le dessin crédible,
donnait de la chair et des os à cette nouvelle
mythologie qui nous venait d'outre-Atlantique...
Cette approche réaliste résonna en moi et continue
aujourd'hui d'influencer mon travail, et même, d'être
souvent l'aune par lequel je m'intéresse aux autres
artistes ,qu'ils soient du passé ou contemporain.
Au fil du temps, c'est devenu pour moi une certitude :
la forme du fantastique se doit d'être de
facture« classique ».
Par exemple, le fantastique « classique » de Neo
Rauch est plus convainquant que le fantastique
baroque de Dali. On peut dire la même chose du
poète Mérimée contre Hoffmann, Giorgio de
Chirico contre le Surréalisme de Breton etc...
La bien terne couvertiure N°27 de mars 1972.
Sept mois plus tard tout changera avec...
...l'inoubliable N°34 dû à Jean Frisano.
Neo Rauch, célèbre peintre allemand de la
Leipziger Schule, émule d'un Réalime Fantastique.
Et je ne parle pas de Alex Ross, qui s'est fait une
spécialité depuis, de peindre ainsi les super-héros de
son enfance (Il est né un peu plus tard que moi, en
1970.) avec un énorme talent.
Pourtant nous avons dû ressentir quelque chose de
similaire dans notre pré-adolescence...
L'influence sur mes propres travaux peut sembler
lointaine.
Serait-ce même le fruit de mon imagination?
Qu'importe, en fait, car qu'est-ce que cela change ?
Les artistes qui nous marquent sont ceux qui nous
révèlent à nous même...
Pierre de Mougins