Il existe 2 types d’auteurs. Les généreux et les avares.
Les avares, il faut s’en défier car ils savent très bien cacher leur indigence. Le temps précieux passé à extirper la moindre information utile du magma de mot qu’ils appellent livre, ne se rattrape jamais…
Heureusement, il y a les autres, les généreux, les majestueux, ceux dont les écrits éclairent et enrichissent tout à la fois.
Dans ce Panthéon subjectif, il y a, dans l’ordre de mes découvertes Jean Clair et Roger Caillois. Deux de leurs livres ont un thème en commun : MÈDUSE.
Ils sont tous les deux passionnants.
Le premier s’intitule « Méduse, contribution à une anthropologie des arts visuels ». Pour la petite histoire, Je l’ai lu dès sa parution en 1989, j’avais donc 22 ans. Son influence a été déterminante dans ma vocation de peintre. Elle raisonne toujours au loin, comme un écho.
Nous conjurons notre angoisse de notre mort de différente manière (course aux honneurs, recherche de pouvoirs, goût de l’accumulation) mais La thèse du livre est que celle qui consiste à créer des images, est un moyen salvateur de transfiguration.
C’est ce que le mythe de Méduse incarne : l’épouvante ancestrale devant ce qui nous regarde et ne nous ressemble pas, c’est à dire la MORT. Ainsi l’image devient un artifice, un moyen de maîtriser la gorgone. « Tracer, c’est trancher » disait déjà Persée dans l’Iliade . L’image c’est le miroir de Persée, qui reflète la réalité épouvantable. En chemin, se faisant, il découvre la beauté. C’est son trésor de guerre ! Et l’art n’est en fait que l’histoire de tous ces reflets, de tous ces combats.
Le pouvoir de l’image n’est pas d’empêcher le mal, mais d’en être la mémoire.
Cet essai de Jean Clair m’a longtemps obsédé. Et je ne croyais jamais en rien pouvoir enrichir l’enseignement, jusqu’à ma lecture de « Méduse et Cie » de Roger Caillois.
Mais avant, résumons-nous :
Jean Clair émet l’hypothèse que l’effroi devant la mort aurait imprimé sur l’âme humaine et de manière immuable, comme un sceau indélébile. (V. Bible, verset de la Genèse, leurs yeux s’ouvrirent ».
A cette assertion, que nous répond la science aujourd’hui ?
L’âme relève de la superstition et n’est pas un objet d’étude.
Mais l’existence et des origines de ce sceau, on en trouve trace dans les recherches diagonales de Roger Caillois.
La démarche intellectuelle de Roger Caillois est fascinante et je ne me lasse pas de découvrir une à une ses recherches. Rien d’intuitif chez lui. Sa méthode discursive est souvent de prendre les choses à l’envers.
Par exemple, pour comprendre comment fonctionne un individu au sein d’une société, on a coutume de décortiquer les caractéristiques culturelles de ladite société, son histoire, sa politique, sa religion. Et de voir ainsi comment elles agissent sur les décisions, les comportements, les opinions, les croyances de celui-ci. C’est le présupposé méthodologique que : la connaissance du tout nous permettrait seul d’accéder à la connaissance des parties.
Roger Caillois raisonner dans l’autre sens : Partir de l’individu et de ses spécificités afin d’accéder aux lois naturelles cachées derrière les mythologies, les sociétés.
Pour se faire, il a l’audace d’étudier cet animal ayant évolué, lui aussi, vers l’organisation sociétale : l’insecte, et plus précisément le phénomène du mimétisme.
Il est coutume de voir dans cette énigme du vivant un principe double : invisibilité et intimidation.
L’animal paralyse ou épouvante soit son agresseur, soit sa proie.
Tout un bestiaire défile alors sous nos yeux éberlués, du papillon Caligo Prometheus aux ocelles de regard de chouettes, au scarabée , à la mante religieuse et sa danse macabre.
Le mécanisme demeure obscur quoiqu’en disent les « spécialistes ». Plusieurs écoles s’affrontent : préadaptation, hasard, téléplastie ?
La finalité au regard de la survie est nulle ( experience de Judd et Foucher)
« L’invisibilité » est subjective car déterminée par les capacités de notre appareil visuel humain, l’œil et ses propres limites.
Voyez ici l´étonnante analogie, ce qu’il appelle « les connivences inédites et fertiles » avec le mythe de Méduse.
C’est toujours cette démarche de traverse, de déceler des lois derrière de trompeuses diversités. « La source des mythes, (de celui de Méduse en l’occurrence) se trouve dans le comportement issu du règne animal. Mécanique ici, libre là. Elles n’en sont pas moins identiques. »
« Exclure l’homme de l’univers est un pur anthropocentrisme. »
« N’est-il pas soumis á toutes les lois de l’univers, celle de la pesanteur, de la chimie, de la symétrie ? »
Alors, la pensée serait-elle fille de la peur ?
Mieux, ou pire : La peur est le moteur de notre développement cérébral.
Mais est-il le seul ?
(A suivre)
(Tableau analytique du Mimétisme P.78)